Les questions qui sont le plus souvent soulevées renvoient au secteur de l’emploi. En effet, on peut légitimement se demander combien d’emplois seront créés suite à l’installation d’Alibaba à Liege Airport et quels développements socio-économiques sont souhaitables à Liège suite à l’implantation du géant chinois.
Alibaba, fournisseur d’emplois supplémentaires à Liège ?
Des milliers d’emplois, vraiment ?
Dans les scénarios les plus optimistes et les plus vendeurs, la venue d’Alibaba à Liège signifierait la création de « milliers d’emplois » 1 : 900 emplois directs et 2100 indirects. La réalité de ces chiffres semble sujette à caution : si la filiale Cainiao valide 2 pour sa part la quantité attendue d’emplois directs (en ne disant rien des emplois indirects) et déclare uniquement que « le projet sera bien lancé », le ministre wallon responsable des aéroports Jean-Luc Crucke et le ministre fédéral de l’Emploi Kris Peeters annoncent plutôt 250 à 300 emplois créés dans un premier temps 3. Cependant, et même si ces chiffres sont pris aux sérieux, cela ne représente que l’équivalent de 10 emplois à l’hectare 4, ce qui demeure fort peu en matière de densité d’emploi.
Rappelons par ailleurs que le fonctionnement de l’entrepôt de Cainiao Smart Logistics dans le Xiasha Park de Hangzhou, en Chine, ne nécessite que cent emplois à son rythme de croisière 5.
De plus, une partie de ces emplois pourrait ne pas être facilement accessible : la connaissance du mandarin pourrait être exigée pour les fonctions où de l’encodage dans des programmes informatiques non traduits est nécessaire. ECDC Logistics, actuellement en place à Liege Airport et comptant trois clients chinois, a déclaré qu’un tiers de son personnel maîtrisait le mandarin.
Qualité des emplois créés
Une réserve est émise quant à la qualité des postes créés 6 et les techniques de management utilisées afin de « rentabiliser la productivité des ressources humaines » 7, que l’on pourrait qualifier de militaires 8 (des horaires fous, l’exigence de rentabilité répétée, l’encouragement à des heures supplémentaires dans des conditions de choix douteuses). Qui plus est, les conditions de travail dans ce type d’entreprise, à l’instar d’Amazon, sont régulièrement dénoncées 9 10. Il est dès lors nécessaire de se poser cette question : voulons-nous de tels emplois ?
Risque d’automatisation
L’une des menaces les plus sérieuses qui pèse sur ces emplois est l’automatisation d’une grande partie des tâches logistiques, due au développement de l’intelligence artificielle et de la robotique, des domaines où Alibaba est bien en avance sur ses concurrents directs 11 (Amazon, etc.). La firme chinoise utilise en effet des entrepôts à 70% automatisés 12. À Shanghaï, l’entrepôt de JD.com, autre entreprise chinoise d’e-commerce, a été automatisé en juin 2018, passant de 400 à 4 emplois subsistants 13, pour une surface de plus de 10 000 m2.
Le risque d’automatisation total doit cependant être relativisé à court et moyen termes 14 : celui-ci ne doit pas dissimuler que ce seront bien des employés humains, aux conditions de travail précaires et difficiles, qui réaliseront les tâches principales. Une récente étude sur les entrepôts aux États-Unis corrobore ces observations tout en précisant que, sur le long terme, l’utilisation de la technologie conduira tout de même à une réduction de la main d’œuvre 15.
Vente en ligne et économie locale
La vente en ligne, dont Alibaba est le leader mondial, impose une concurrence déloyale à l’économie locale, ce qui entrave la valorisation du commerce de type circuit court 16 et ne permet pas à des emplois durables de se développer. Sans compter le fait que les petits commerces qui ne sont pas présents sur Internet (et qui n’ont pas la possibilité de développer leur propre service de vente en ligne) se retrouveront immanquablement démunis face à la concurrence d’Alibaba 17.
Contrairement à ce qui est avancé par le géant chinois, le fait de se connecter à une plateforme en ligne n’augmente pas la possibilité de débouchés financiers pour les indépendants et TPE/PME (Très Petites Entreprises, Petites et Moyennes Entreprises) ; mais favorise au contraire une mise en concurrence avec des acteurs bien plus grands 18 – imaginez un instant votre épicerie de quartier en concurrence avec des chaînes agroalimentaires multinationales.
De plus, le principe de la plateforme est que ces mêmes acteurs géants auront précisément accès aux marchés des TPE et PME 19 (ou de l’épicerie locale, pour reprendre notre exemple). Soit une perte totale pour l’économie locale et l’ensemble de ses actrices et acteurs, ainsi que pour tou·tes les Liégeois·es.
Commerce en ligne et fraude fiscale
De nombreuses études 20 21 montrent que le recours au commerce en ligne entraîne un risque de fraude supplémentaire, un risque d’augmentation énorme du dumping fiscal (ISOC, IPP) et de fraude à la TVA, notamment lors des ventes en ligne « B2C ». Les gouvernements fédéral et régional ont-ils prévu des mesures pour empêcher (ou tout au moins limiter) l’explosion de la fraude, d’une part, et pour compenser les moindres rentrées, de l’autre ? Si oui, s’accompagnent-elles de moyens pour les faire appliquer ?
Les moyens techniques et humains mis au service de la douane et du fisc seront-ils proportionnels aux moyens dont disposent les conseillers en évasion fiscale, les sociétés « boites aux lettres » domiciliées dans les paradis fiscaux européens et les sociétés off shore des fraudeurs ? Le doute est plus que permis, si l’on se réfère à un rapport d’une commission spéciale du Parlement européen sur l’évasion fiscale épinglant la Belgique : « La principale conclusion des députés européens est l’inaction des États européens lorsqu’il est question de lutte contre l’évasion fiscale. Sept États de l’UE, dont la Belgique (les autres étant Chypre, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte et les Pays-Bas) sont repris comme des paradis fiscaux et accusés « de faciliter la planification fiscale agressive » » 22.
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- https://www.lecho.be/entreprises/services/alibaba-va-creer-3-000-emplois-et-vendre-les-pme-belges-en-chine/10074548.html
- https://www.lameuse.be/485566/article/2019-12-06/alibaba-cest-tout-linverse-damazon
- https://plus.lesoir.be/194864/article/2018-12-10/alibaba-liege-des-jobs-oui-mais-lesquels
- https://www.watchingalibaba.be/aspects-economiques#nb12
- https://www.rtbf.be/info/monde/detail_au-c-ur-des-entrepots-d-alibaba-le-jour-fou-ou-le-geant-chinois-bat-son-record-de-ventes?id=10362661
- https://www.theguardian.com/world/2019/apr/15/china-tech-employees-push-back-against-long-hours-996-alibaba-huawei
- https://www.arabnews.com/node/1351361/business-economy
- https://www.capital.fr/entreprises-marches/mise-a-lepreuve-pression-evaluation-le-management-implacable-damazon-1264402
- Rapport d’expertise sur les conditions de travail dans un entrepot Amazon en France, relayé par le site Capital : https://www.capital.fr/entreprises-marches/amazon-un-rapport-alarmant-sur-les-conditions-de-travail-a-montelimar-1285393
- En 2016, le site anglais The Courrier révélait que des employés d’Amazon dormaient sous tente à proximité de leur site de travail à Dunfermline, en Ecosse : https://www.thecourier.co.uk/fp/news/local/fife/325800/exclusive-amazon-workers-sleeping-in-tents-near-dunfermline-site/
- https://www.alizila.com/cainiao-logistics-future-park-china
- https://www.businessinsider.com/inside-alibaba-smart-warehouse-robots-70-per-cent-work-technology-logistics-2017-9?IR=T
- https://www.usine-digitale.fr/article/a-shanghai-cet-entrepot-hyper-robotise-du-e-commercant-jd-com-n-emploie-que-4-humains.N706849
- A. Casilli (2019), En attendant les robots, Paris, Seuil
- B. Gutelius & N. Theodore (2019), « The Future of Warehouse Work : Technological Change in the U.S. Logistics Industry », UC Berkeley Center for Labor Research and Education : http://laborcenter.berkeley.edu/pdf/2019/Future-of-Warehouse-Work.pdf
- « Alibaba, un conte à dormir debout », paru dans la revue Imagine demain le monde, n°133, mai-juin 2019
- UNCTAD, Digital Economy Report, 2019.
- https://www.sixthtone.com/news/2031/why-i-quit-rural-taobao
- https://itforchange.net/sites/default/files/add/ecommerce-week-draft.pdf
- https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/exclusif-une-fraude-massive-a-la-tva-mise-au-jour-dans-le-e-commerce-1154687
- https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/nouveau-rapport-impunite-fiscale-sociale-et-environnementale-immersion-dans-le
- https://www.lecho.be/economie-politique/europe/elections/le-parlement-europeen-epingle-la-belgique-et-six-autres-etats-comme-paradis-fiscaux/10102513.html